Libération : Trois questions à Utiliser les odeurs pour «faciliter l’appréhension de l’espace public aux personnes vulnérables» par Balla Fofana

Photographe : Krzysztof Pazdalski

Du Calvados à la Marne en passant par Lille et Lyon, de plus en plus de lignes de transports sont odorisées pour accompagner les voyageurs. Pour la chercheuse Annick Le Guérer, l’usage du parfum dans l’espace public a de nombreuses vertus.

Permettre à des passagers, notamment malvoyants, de reconnaître leur ligne de tramway grâce à son odeur : l’expérience inédite en France a été lancée, le 15 novembre, à Caen (Calvados) sur la ligne 3. Le but ? Envisager le parfum comme un supplément d’information pour les utilisateurs en situation de handicap. Au bout de cinq mois, si l’expérimentation est concluante, elle sera généralisée sur les trois lignes de tramway de la ville. Chaque tram aurait une signature olfactive distincte et immédiatement reconnaissable.

Si solliciter l’odorat des usagers pour faciliter l’accession aux moyens transports est une nouveauté, les odoriser ne l’est pas. Après une phase expérimentale, cinq lignes de bus d’Epernay (Marne) viennent d’être équipées des diffuseurs olfactifs. Les quais des métros lillois et lyonnais sont eux aussi parfumés. Pour Dr Annick Le Guérer, anthropologue, philosophe, historienne de l’odorat et autrice de l’essai les Pouvoirs de l’odeur (Odile Jacob, 1988)ces politiques publiques soulignent le rôle important que peut jouer l’odorat pour faire société et favoriser le bien-être.

Que pensez-vous de l’observation olfactive menée à Caen ?

Il convient tout d’abord de préciser qu’il ne s’agit pas d’une initiative fantaisiste. Les personnes aveugles compensent leur cécité par d’autres sens, pour se guider elles touchent les objets, utilisent une canne, mais leur odorat est beaucoup plus développé. Un voyageur aveugle ou non-voyant qui passe devant un tram entrera avec plus de confiance dans le wagon si, à l’ouverture des portes, une odeur lui indique que c’est le bon transport. Le passager sera rassuré sur sa destination, reconnaîtra le lieu par l’odeur, se réjouira de voir que son handicap officiellement reconnu par la société. Il y a un double effet de reconnaissance. Les personnes analphabètes ou illettrées pourront également en profiter. Depuis la pandémie, les collectivités sont plus attentives à cette question car le Covid a pour effet de priver beaucoup de gens de leur odorat. Si cette focalisation s’élargit aux personnes en situation de handicap, on ne peut que s’en réjouir.

Ailleurs, à Epernay les usagers de cinq lignes de bus profitent depuis octobre d’un diffuseur olfactif qui vaporise un parfum de jacinthe et de jasmin toutes les deux minutes.

Les odeurs ont un impact sur les comportements sociaux. Elles procurent un sentiment de bien-être, d’apaisement. L’odorat est un sens lié aux émotions et aux souvenirs. L’aromatologie a prouvé que les odeurs peuvent influencer nos comportements. Des travaux réalisés au Japon, dans les années 80, ont montré que les odeurs de citron seraient stimulantes, que les senteurs boisées seraient apaisantes, par exemple.

Recommandez-vous une généralisation de ces pratiques ?

Pourquoi pas ? Les magasins, les hôtels cherchent à avoir signature olfactive, une odeur spécifique qui permet de les identifier, de se souvenir d’eux grâce à l’odeur. Je pense qu’il faut prendre exemple sur ces espaces privés, afin de faciliter l’appréhension de l’espace public aux personnes vulnérables. Et pour les autres, c’est quand même plus agréable de troquer les odeurs de sueurs des transports en commun contre des effluves de fleurs ou d’arbre odorants. Nous pouvons imaginer qu’un parfum apaisant pourrait désamorcer la violence, dans les transports en commun. Je ne dis pas que ça marchera à tous les coups, mais quand vous vous sentez bien dans un endroit, vous êtes moins susceptible d’être agressif. LIRE L’ARTICLE