ECLAIRER : Articles et Contributions scientifiques
LES ANTHROPOLOGUES, PHILOSOPHES, HISTORIENS, NEUROPHYSIOLOGISTES, etc…
Personnalités avec lesquelles Annick Le Guérer a eu ou a des liens intellectuels et de travail.
Articles : « Odorat », « Odeur », « Parfum », par Annick Le Guérer in Dictionnaire Le Robert culturel.
De 2010 à ce jour
Juin 2015 : « La reconnaissance artistique du Parfum » in « L’art olfactif contemporain » – Editions Classiques Garnier. Le parfum bien que considéré par beaucoup comme une oeuvre d’art ne bénéficie pas encore d’une reconnaissance artistique officielle. La Cour de Cassation, en 2008, lui a encore refusé cette consécration, considérant qu’il procède d’un savoir-faire et non d’une démarche artistique. Cette réticence à prendre en compte les formes olfactives a des racines très profondes qui plongent dans le statut philosophique de l’odorat. Mais depuis quelques années les choses bougent et le parfum fait son entrée non seulement au Ministère de la Culture mais dans tous les arts.
La reconnaissance artistique du parfum est le résultat d’un processus historique de longue haleine. L’objectif de l’article est d’en analyser les étapes en montrant comment la composition de parfum conquiert ses lettres de noblesse, en se séparant de la pharmacie, puis en résistant à l’industrie pour devenir une création à part entière, favorisée par l’avènement de la chimie.
- Pages: 39 à 53
- Année d’édition: 2015
- Collection: Rencontres, n° 120
- Série: Études de philosophie, n° 2
Universcience.tv est la webTV scientifique hebdo de
la Cité des sciences et du Palais de la découverte (réunis dans un nouvel établissement, Universcience, depuis janvier 2010). Série La Nuit du Vivant : voyage au coeur de la pourriture ET présentation de la série (dossier presse).
31 octobre 2012 – « L’Odorat, sens du futur » Avec Roland Salesse, neurobiologiste au laboratoire « Neurobiologie de l’olfaction et de la prise alimentaire » (Inra) et Annick Le Guérer, philosophe et anthropologue, spécialiste de l’odorat et des parfums.
La pierre et l’aromate, une métaphore des parfums
in Gemmes, une brillante histoire – Patrimoine en Isère/Musée de St Antoine l’Abbaye, 2014. Dès les temps les plus anciens, bijoux et parfums ont commencé à tisser une longue histoire d’amour. Ainsi les senteurs délicates et les pierres rares répandues à pleines poignées sont-elles convoquées par le Cantique des Cantiques pour peindre et célébrer les charmes du bien-aimé. Elles s’imposent à l’évidence dans ce poème comme les plus propres à exprimer l’extase de l’épouse : « Ses joues sont comme de petits parterres de fleurs aromatiques plantées par les parfumeurs. Ses lèvres sont comme des lis qui distillent la myrrhe la plus pure. Ses mains sont comme si elles étaient d’or et elles sont pleines d’hyacinthes . Sa poitrine est comme un ivoire enrichi de saphirs ». Une complémentarité qui s’affiche également dans les rituels religieux où les instruments du culte, et particulièrement les encensoirs d’où s’élève la fumée odorante qui établit une médiation entre les dieux et les hommes, s’ornent parfois de diamants, de perles ou de cabochons rutilants. Pierres et senteurs, souvent créditées de vertus thérapeutiques ou magiques, ont été assemblées sous les formes les plus diverses avec l’ambition d’accroître ainsi leur efficacité médiatrice, protectrice ou tout simplement séductrice : colliers, ceintures, chapelets alternant matières précieuses et boules parfumées parfois enserrées d’un résille d’or ou d’argent, bagues dont les chatons dissimulent un compartiment à odeurs. Particulièrement représentatives de cette démarche sont les fameuses pommes de senteur venues d’Orient à l’époque des croisades. Ces sphères creuses et ajourées, que l’on portait à ses narines, étaient garnies de pâtes aromatisées, destinées à combattre les effets pernicieux des miasmes porteurs d’épidémies. Leur composition était en général très complexe : musc ambre, civette, storax, encens, myrrhe, aloès, girofle, macis, cannelle, sarriette, basilic, marjolaine, menthe, nard, cardamome, rose, basilic…L’efficience du contenu était renforcée par la richesse du contenant, filigrane de métal noble fréquemment incrusté de pierreries. Leur vogue, portée par la grande peste noire de 1348 qui dévasta toute l’Europe, ne se démentit pas jusqu’au XVIII° siècle, leur rôle d’écran protecteur se cumulant avec la fonction d’affirmation tangible et éclatante du statut social de leur possesseur.
Le jardin du parfumeur in Le jardin médiéval entre Orient et Occident – Patrimoine en Isère/Musée de St Antoine l’Abbaye 2014. Au Moyen-Âge, nombreux sont ceux qui peuvent se dire parfumeurs. La parfumerie restera, jusqu’au XVII e siècle, une activité éclatée entre apothicaires, gantiers, triacleurs (fabricants de thériaque), épiciers, merciers… sans compter moines et moniales qui cultivent dans leurs jardins des simples de nombreux végétaux odorants. Roses, giroflées, narcisses, violettes, muguet, pois de senteur, viorne, lis, iris, lavande, menthe, absinthe, bourrache, violette, petite pervenche, romarin, thym, mélisse, marjolaine, anis… entrent dans les préparations parfumées servant aussi bien l’élégance que l’hygiène et la pharmacopée.
L’herboristerie magique in Fastes et Maléfices – Patrimoine en Isère/Musée de Saint Antoine l’Abbaye, 2009. L’herboristerie magique est au cœur des superstitions antiques jusqu’aux pratiques actuelles, en passant par de célèbres procès, les parfums et les philtres d’amour, les poudres d’amour et de succession…
L’odorat, un sens controversé in Une Histoire des Sens
Patrimoine en Isère/ Musée de Saint antoine l’Abbaye, 2008.
Hygiène et toilette du XVIIIe au XIXe siècle Bains Bulles et Beautés, Gourcuff Gradenigo, 2014. Qu’est-ce que la toilette ? Se laver : pourquoi, comment, où ? Qu’est-ce que le savon ? Autant de questions qui révèlent, selon l’angle d’approche, des pratiques culturelles, rituelles et sociétales et le point crucial qu’est l’accès à l’eau, l’usage qui en est fait.
L’odorat et la communication in Corps sensibles. Usages et langages des sens PUN-Editions universitaires de Lorraine, 2013. Le langage familier rend compte des aversions et répulsions en termes olfactifs. Ne dit-on pas : « avoir quelqu’un dans le nez », « ne pas pouvoir sentir », « blairer », « piffer » quelqu’un ; d’une personne dont la vanité irrite : qu’elle est « puante » ? Sentir l’atmosphère de quelqu’un est la perception la plus intime que nous puissions avoir d’autrui. L’odorat joue un rôle essentiel dans la communication.
La réhabilitation de l’odorat in Odorat et goût Quae, 2012. page 11. L’ODORAT EST AUJOURD’HUI D’ACTUALITÉ mais il est resté longtemps énigmatique et a même été considéré comme le parent pauvre des sens. Depuis une quinzaine d’années, les travaux des historiens, des anthropologues, des scientifiques focalisent l’attention sur ce sens qui est aujourd’hui beaucoup mieux connu. En 2004, deux chercheurs américains, Linda Buck et Richard Axel, ont même reçu le prix Nobel de physiologie et de médecine pour leurs travaux sur les subtils mécanismes qui gouvernent l’odorat. Loin d’être un sens négligeable, l’odorat a, en effet, des fonctions importantes.
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L’odorat, du discrédit à la réhabilitation – L’Émoi de l’Histoire, mai 2012 – L’émoi de l’histoire est un bulletin de Association historique des élèves du lycée Henry-IV (2012-). L’odorat et les odeurs focalisent aujourd’hui l’attention mais pendant des siècles, l’odorat a largement été méprisé et considéré comme le parent pauvre des sens. À de rares exceptions près, philosophes et psychanalystes l’ont cantonné dans un statut subalterne. C’est seulement dans la période récente qu’il est en passe d’accéder à une véritable reconnaissance et que les odeurs commencent à entrer dans les expositions, les hôpitaux, les prisons, les écoles.
1er octobre 2011 : Olfaction et Connaissance. Contrairement à Nietsche qui déclarait « Tout mon génie est dans mes narines », la majorité des philosophes ont considéré l’odorat comme un sens impropre à la connaissance. Un point de vue qui commence aujourd’hui à être infirmé.
Sens et odeurs Le Journal des psychologues 2011/2 (n° 285)
Dossier du mois : Sens et odeurs. Articles : Les sens et les odeurs – Les modalités sensorielles : science et sens commun – Les systèmes de la cavité nasale : sens manipulables et manipulateurs – Le sens du sens. Esquisse d’une épistémologie des odeurs – L’odeur : une image comme une autre ? – La médiation sensorielle dans les petits groupes de personnes âgées.
- Pourquoi le sens commun nous attribue-t-il cinq sens alors que les sensations liées à chacun d’entre eux sont très variées ? Ce que nous percevons de nos sens diffère des caractéristiques physiques des stimuli qui nous entourent : nos gènes, nos expériences passées, notre état attentionnel actuel, modulent nos perceptions. Aussi, plusieurs points de vue sont convoqués ici pour envisager les énigmes posées par l’audition et l’olfaction.
- Les neuropsychologues soulignent l’existence de voies de traitement différentes pour une même modalité sensorielle. L’olfaction informe sur l’intensité et la qualité des molécules odorantes par deux voies. Concernant le goût, la gustation comme le toucher, la vue et même l’audition jouent un rôle dans la perception des aliments.
- La phénoménologie a réintroduit l’intentionnalité de la conscience perceptive : pour comprendre ce que veut dire « sentir », il faut revenir à l’expérience vécue.
- L’apport de l’anthropologie souligne le rôle d’influences culturelles sur les systèmes de classification des odeurs. Il existe des odeurs spécifiques pour chaque culture et des odeurs universelles.
- Comme les facteurs culturels, l’âge constitue un élément de modification des perceptions sensorielles. Les seuils de détection olfactifs seraient multipliés par dix avec l’âge. Les sujets âgés en ont souvent conscience. Ces modifications sont amplifiées par certaines pathologies et traitements médicamenteux pouvant aller jusqu’à une anosmie ou une agueusie.
- Les odeurs sont aussi liées à des réponses émotionnelles et restent une porte ouverte sur la réminiscence des souvenirs. Les contextes olfactifs infantiles s’avèrent particulièrement résistants à l’oubli. Chez les plus de soixante-cinq ans, des expériences ont confirmé que le rappel de souvenirs est facilité par la présentation d’odeurs plus que par celle de mots. Ces éléments peuvent suggérer de nouvelles modalités de prise en charge.
- Cette complexité conduit les chercheurs à modéliser les traitements sensoriels selon le modèle théorique d’« assemblée de neurones » (Donald Hebb, 1949). Ce modèle présuppose que la perception émergerait sans nécessiter la présence d’un système de contrôle strict et permettrait de rendre compte de son caractère d’unicité.
- Notre perception du monde est limitée, mais le contexte associé, qu’il soit présent, passé ou futur, facilite son interprétation.
Sommaire dossier : Sens et odeurs
- Les sens et les odeurs.
- Les modalités sensorielles : science et sens commun.
- Les systèmes de la cavité nasale : sens manipulables et manipulateurs.
- Le sens du sens. Esquisse d’une épistémologie des odeurs.
- L’odeur : une image comme une autre ?
- La médiation sensorielle dans les petits groupes de personnes âgées.
- Bibliographie.
De 2000 à 2009
Le parfum des temples égyptiens aux temples de la consommation.
Le parfum a été conçu comme la « sueur des dieux », le « sang du Christ » et il était doté de très grands pouvoirs : sacrés, préventifs, curatifs, magiques, séducteurs. Il a joué dans la vie des humains un rôle protecteur essentiel qui hante encore notre imaginaire. Au fil du temps, il s’est coupé de ses fonctions religieuses et curatives. Son industrialisation intensive, sa composition essentiellement chimique, les lancements internationaux, l’abaissement des coûts de production, ont considérablement fait évoluer son image. Désincarné, il est devenu un produit abstrait et un objet marketing. In « Mode de recherche » – une revue du centre de recherche de l’Institut français de la Mode – n°11, janvier 2009
La démocratisation du parfum in 100.000 ans de beauté, Gallimard, 2009. Dès la seconde moitié du XIX e siècle, l’intrusion de la chimie dans la parfumerie entraîne aussi une certaine démocratisation. Parfumeurs et savonniers peuvent désormais abaisser les prix de leurs articles et élargir leur clientèle. L’usage des eaux de Cologne, des vinaigres aromatiques, des eaux de toilette, des extraits pour mouchoir, se généralise et les classes modestes accèdent au savon parfumé. En 1864, la parfumerie Piver vend cinq cents douzaine de savons par jour !
Un produit divin et mythique in 100.000 ans de beauté, Gallimard, 2009. Au cœur du désert turkmène, région que l’on pensait n’avoir jamais abrité de civilisation, des archéologues viennent de découvrir, les traces d’un peuple raffiné qui prenait soin de son corps et utilisait, 5000 ans avant J. C., des pots à onguents. Une découverte qui fait remonter plus loin encore dans le temps l’usage des produits de beauté. L’origine des diverses gommes aromatiques demeura, dans les civilisations antiques qui en firent grand usage, empreinte d’un certain mystère. Leurs variétés, les lieux et les conditions de leur exploitation n’étaient connus que d’une manière imprécise. Pour les Égyptiens, les aromates rares et exotiques, en particulier l’antî (la myrrhe ou l’encens) provenaient du «Pays du dieu et de Pount».
Les grands mythes du parfum in Enjeux et métiers de la Parfumerie, et Great myths of perfume in Stakes on professions in perfumery, Assalit, 2008. Mythes et légendes du parfum abritent des histoires d’amour, de courage, d’éternité mais aussi des histoires violentes, pleines de passions exacerbées, de haines, de jalousies, de meurtres. La séduction y est cruelle, l’amour, le plus souvent malheureux, voire tragique et les fleurs s’y épanouissent volontiers dans le sang. En définitive, on s’aperçoit que lorsque les constructions légendaires font intervenir les parfums, il est avant tout question des interrogations essentielles que suscite la destinée humaine.
L’incarnation du parfum in Histoire mondiale du Parfum, Somogy, 2008. Dans le passé, les senteurs n’étaient pas faites uniquement pour l’agrément du corps. Leur rôle ne se bornait pas à une action de surface. Elles étaient censées agir en profondeur, capables de pénétrer jusqu’au tréfonds de l’être en lui communiquant les vertus dont elles sont porteuses. Entre le parfum et la chair existait davantage qu’une proximité, presque une consubstantialité qui va dominer la plus grande partie de son histoire.
L’olfactif et la littérrature in Histoire mondiale du Parfum, Somogy, 2008. La littérature a largement accueilli effluves et senteurs et, du Cantique des Cantiques à nos jours, la liste est longue des œuvres, des écrivains, des poètes qui ont pu être catalogués comme « olfactifs ».
Odeurs, le parfum et la chair in Terrain 47, septembre 2006. De l’Antiquité jusqu’à l’orée du xixe siècle, le parfum reste profondément marqué par ses relations étroites avec la chair. Son histoire est celle d’une désincarnation qui a conduit à en faire un produit abstrait et un objet marketing. Cette désincarnation, au sens le plus propre du terme, touche le parfum lui-même lorsqu’il abandonne les produits animaux utilisés pour sa composition. Mais c’est aussi une désincarnation « fonctionnelle » dans la mesure où s’efface son rôle primordial dans la préservation du corps humain, celle du corps mort avec l’embaumement, celle du corps vivant avec la médecine aromathérapique. La production de parfums à partir de produits de synthèse n’est-elle pas alors affectée d’une perte de sens ? LIRE L’INTEGRALITE
Plan
Le traitement olfactif de la peste in Epidémies et Sociétés Florence, ERGA – 2005. Conçue pendant des siècles comme une mauvaise odeur, la peste a donné lieu jusqu’au XIX e siècle à de nombreux parfums censés la combattre. Parfums doux, « médiocres » et violents étaient distribués par des parfumeurs de peste. Pommes de senteurs, linges, gants parfumés, oiselets de chypre, faisaient également partie de l’arsenal thérapeutique. Sa prévention et son traitement olfactifs ont même donné lieu, lors de la peste de Moscou, en 1771, à des expériences sur des condamnés à mort. Ils étaient soumis à des parfums particulièrement violents qui les emportaient souvent avant même leur exécution.
L’Odorat. Un sens en devenir in Sentir. Pour une Anthropologie des odeurs, Paris, L’Harmattan, 2005. Il y a près de deux cents ans, Charles Fourier, philosophe et utopiste, connu surtout pour ses théories sociales et économiques prédisait pour l’odorat et les odeurs un avenir glorieux. Cet ardent défenseur du désir et de la passion s’étonne du peu d’importance accordée jusqu’alors à l’olfactif. Il rêve d’une nouvelle science : celle des « arômes » connus et inconnus dirigeant les animaux et les hommes. C’est dans sa chambre transformée en serre et encombrée de plantations odorantes qu’il imagine un système où le mécanisme aromal joue un rôle capital dans l’harmonie de l’univers. Au départ de tout ce qui existe, les planètes se reproduisent par jets d’arômes et chacune d’elle est entourée d’une sorte de coque aromale semblable à une bulle de savon. Cette vision poétique ne lui valut que l’ironie et les sarcasmes de ses contemporains, mais elle trouve aujourd’hui une résonance étonnante. L’expérience appelée « Arôme », lancée par plusieurs laboratoires du C.N.R.S, utilisant un ballon stratosphérique du Centre national d’études spatiales, recoupe les conceptions visionnaires de Fourier. Des molécules aromatiques seraient l’une des composantes essentielles du milieu interstellaire où naissent constamment des étoiles. C’est aussi de ce gaz interstellaire que proviendraient presque directement les atomes qui constituent la Terre et les autres planètes. Longtemps considérées comme des spéculations stériles, les intuitions du philosophe utopiste anticipaient largement les explorations des astrophysiciens contemporains. Sans prétendre à la puissance visionnaire de Fourier, on peut raisonnablement envisager aujourd’hui pour l’olfactif un avenir plein de promesses. Et pourtant l’odorat revient de loin…
.L’Odorat, un sixième sens ? in A fleur de peau, Paris, Belin, 2003. Mais c’est précisément parce que notre odorat est proche du flair animal qu’il est particulièrement intéressant. Cela le rend apte à la saisie de données extrêmement fines, prérationnelles, celles de l’indicible qui se dégage d’un être, d’une chose, d’un lieu, d’une situation. Ce sens, pauvre en vocabulaire propre, établit un rapport fusionnel avec le monde et livre non seulement les substances mais aussi les ambiances, les climats, les vécus existentiels. Pour Nietzsche, par exemple, le « flair » est un véritable instrument d’investigation psychologique et morale. Ses liens avec l’instinct en font l’arme du psychologue qui se guide de façon intuitive et dont l’art ne consiste pas à raisonner mais à subodorer. L’importance de ce « flair » prélinguistique n’a pas échappé à certains psychiatres et psychanalystes. Le cas de malades qui répandent, lorsqu’ils sont dans un état de fureur refoulée, des odeurs très désagréables à la manière de certains animaux, sur la défensive, leur a montré toute l’importance sémiotique des odeurs. Elles peuvent évoquer, à la place des mots, des sentiments soustraits à la communication sociale. Au-delà de sa fonction première, l’odorat assume celle d’un « sixième sens » : celui de la connaissance intuitive dont rend compte le langage courant ( « avoir du nez », » bien sentir les choses »). LIRE L’INTEGRALITE CI-APRES
Parfum et Musique in Lucerne Festival, Stroemfeld Verlag, 2002. La relation entre le parfum et la musique a toujours existé mais c’est au XIX e siècle, lorsque avec l’introduction des molécules de synthèse dans la parfumerie, le compositeur de parfum revendique son travail comme artistique, que cette relation va s’affirmer. Harmonie olfactive et musicale se répondent. Le parfum comme la musique traduisent et provoquent des émotions. Comme la musique, le parfum se déroule dans le temps et comme le musicien, le parfumeur cherche des « accords » et compose sur son « orgue à parfum » à partir de « notes ».
L’Odorat in Journal des psychologues 2002. L’odorat est donc un sens du contact qui joue un rôle fondamental dans la rencontre avec l’autre et de tout temps, d’ailleurs, l’odeur a été le support et le prétexte de multiples discriminations individuelles, sociales et raciales. Au-delà de sa fonction respiratoire, le nez est aussi un organe social qui opère des sélections et détermine des distances entre les individus, de façon immédiate et indiscrète. Qu’il s’agisse de répulsions ou d’attirances, ses décisions prises en dehors de l’influence de la conscience, de la morale et de l’esthétique, ont, de ce fait même, un caractère radical et irrévocable.
L’odorat, un sens très sexuel, in Magazine Senso n°4 2002
A philosophical and psychoanalytical view in Olfaction, Taste, Cognition, Cambridge University Press september 2002. L’odorat a été très souvent dévalué par les philosophes et les psychanalystes. Sens animal, primitif, instinctuel, voluptueux, érotique, égoïste, impertinent, asocial, contraire à la liberté, nous imposant, bon gré mal gré, les sensations les plus pénibles, inapte à l’abstraction, incapable de donner naissance à un art et encore moins de penser : les raisons philosophiques de dénigrer l’odorat sont nombreuses. Pour Freud son refoulement est même nécessaire au développement de la civilisation. Mais depuis quelques décennies, ces positions sont en train de changer.
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Un sens mal aimé in Cinq sens pour un corps, Revue du Palais de la Découverte, n°284, 2001.
The psychoanalyst’s nose in Psychoanalytic Review New York, vol. 88/3 (2001). L’histoire de l’odorat dans la psychanalyse porte le sceau originaire du refoulement. Apparue à une époque où le souci d’hygiène et de désodorisation s’est accru et où les discours savants sur ce sens sont essentiellement dévalorisants, la thématique olfactive freudienne s’est développée dans le cadre d’une relation transférentielle avec Fliess où le nez souvent purulent, et le refoulement de doutes liés à certains vécus olfactifs jouent un grand rôle.
Années 90
Trois histoires de nez aux origines de la psychanalyse in Les Odeurs du Monde. Écriture de la nuit, Paris, L’Harmattan, 1999. À l’origine de la psychanalyse, le nez joue un rôle fondamental. Celui de Freud, tout d’abord, qui nouait une relation très étroite avec l’oto-rhino-laryngologiste Wilhelm Fliess qui avait élaboré une théorie sur une névrose réflexe issue des voies nasales et qui intervenait chirurgicalement sur le nez de Freud. L’usage de la cocaïne focalisait encore l’attention des deux hommes pour cet appendice. Déjà omniprésent dans leurs échanges intellectuels et leurs préoccupations quotidiennes, l’intérêt pour le nez va se trouver de nouveau renforcé par une malencontreuse intervention chirurgicale sur celui d’Emma Eckstein dans lequel Wilhem Fliess oublia un demi-mètre de gaze iodée !
Les parfums à Versailles. Approche épistémologique in Odeurs et Parfums, Paris, éd. C.T.H.S., 1999. éditions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, Paris, 1999). Lorsqu’on évoque les parfums à Versailles, on pense tout de suite à une cour où l’art du paraître a été porté à son paroxysme. Dans ce contexte, l’usage extraordinaire qui est fait des parfums proprement dits, mais aussi des multiples accessoires odoriférants tels que les sachets, les gants, les éventails parfumés apparaît rationnel : en se diffusant, le parfum forme un halo autour de la personne qu’il prolonge et magnifie. Il étend l’être et la sphère sociale du courtisan. Le souci d’un luxe qui reflète le rang de chaque individu et la nécessité de lutter contre une atmosphère empuantie constituent certes des explications logiques à l’usage intensif des parfums mais ils ne suffisent pas, à mon avis, à expliquer la prolifération inouïe des compositions odorantes. Sous Louis XV, l’imprégnation est si forte que la cour de France sera appelée en Europe « la cour parfumée ». En réalité une autre explication doit être apportée qui se conjugue avec les précédentes. Elle obéit à une logique moins apparente mais dont l’importance est à mon sens déterminante. C’est cette logique que je me propose de mettre en évidence, par une approche moins historique qu’épistémologique, en examinant les compositions aromatiques de cette époque et l’usage qui en est fait. L’édition en ligne éditée par
Le nez d’Emma. Histoire de l’odorat dans la psychanalyse » in Revue Internationale de Psychopathologie, P.U.F. juillet 96, n°22. L’histoire de l’odorat dans la psychanalyse porte le sceau originaire du refoulement. Apparue à une époque où le souci d’hygiène et de désodorisation s’est accru et où les discours savants sur ce sens sont essentiellement dévalorisants, la thématique olfactive freudienne s’est développée dans le cadre de cette relation transférentielle avec Fliess où le nez (souvent purulent) et le refoulement de doutes liés à certains vécus olfactifs jouent un grand rôle. La conception de Freud est aussi en accord avec une représentation de l’olfaction, courante en cette fin de siècle, héritée de Buffon et de Darwin mais aussi de Kant qui considérait ce sens « asocial » comme à la fois « le plus ingrat » et « le plus indispensable ». On retrouve chez Freud la même ambivalence. L’olfaction est une faculté animale, archaïque, mais nécessaire à la conservation car elle plonge aux racines mêmes de la vie. Les liens étroits qu’elle entretient avec l’appétit, le désir et la sexualité tout entière la destinent à être refoulée car flairer assimile à la bête. Ist der moderne Mensch geruchsbehindert ? Das Riechen. Gottingen, Steidl Verlag, 1995, p. 37-48.
Odeurs et Communication in Dictionnaire Critique de la Communication, Paris,P.U.F., 1994. Les liens privilégiés que l’odorat entretient avec la zone du cerveau impliquée dans la mémoire et l’émotion expliquent la puissance d’évocation formidable que possèdent les odeurs. Elles sont capables de façon très concrète de faire ressurgir des époques oubliées de notre passé ou de nous rappeler des êtres aimés. Au-delà de sa fonction respiratoire, l’odorat est aussi un organe social qui opère des sélections et détermine des distances entre les individus, de façon immédiate et indiscrète. Qu’il s’agisse de répulsions ou d’attirances, ses décisions prises en dehors de l’influence de la conscience, de la morale et de l’esthétique, ont, de ce fait même, un caractère radical et irrévocable. Chez les humains, les odeurs réelles et imaginaires ont toujours servi à stigmatiser certaines catégories professionnelles ou sociales. Inversement, l’odeur peut jouer un rôle essentiel dans l’attrait entre les êtres.
Le déclin de l’olfactif, mythe ou réalité ? Les cinq sens, Anthropologie et Sociétés, Montréal, vol. 14, n°12, 1990. Sommes-nous devenus des infirmes olfactifs ? Les sociétés industrielles contemporaines auraient fait de l’odorat le » parent pauvre » des sens et relégué l’olfactif dans un rôle plus que modeste. Faut-il croire pour autant qu’elles ont connu autrefois un » âge d’or » olfactif dont ne subsisteraient aujourd’hui que de maigres vestiges ? Mesurer l’appauvrissement de l’odorat paraît difficile et aléatoire. On peut, en revanche, tenter d’évaluer l’importance comparée de l’odorat et des odeurs dans le passé et le présent de nos sociétés en examinant leur rôle dans différents domaines comme les relations humaines, la maladie et la connaissance.
Années 80
Odeurs : L’essence d’un sens, in Revue Autrement septembre 1987, n°92 – 3 articles :
« Les philosophes ont-ils un nez ? « . La question, à mon sens, mérite d’être posée. Contrairement aux écrivains et aux poètes qui ont largement recouru à la puissance incantatoire des odeurs, la plupart des philosophes sont restés très réservés, à l’égard des effluves. Subjectivité, absence de vocabulaire spécifique, ont lourdement pesé sur la façon dont les philosophes ont appréhendé l’odorat et les odeurs, leur ont dénié ou reconnu valeur cognitive, esthétique et éthique. Certains philosophes, peu nombreux il est vrai, se sont cependant insurgés contre ce discrédit. Le mouvement de réhabilitation commence véritablement au XVIII e siècle.
« La panthère parfumée ». Selon les Grecs, la panthère se sert de son parfum pour attirer et saisir ses proies. La panthère symbolise aussi la belle courtisane, le même mot, « párdalis », servant à désigner le félin et l’hétaïre. C’est aux sortilèges aromatiques de celle-ci que renvoie la bonne odeur de la panthère qui devient, ainsi, le symbole de toutes les captures et de toutes les séductions.Le christianisme va s’emparer de cette croyance et, par une transformation hardie, en faire un élément de sa symbolique. La panthère parfumée devient l’image même du Christ.
« Du miasme au microbe ». Jusqu’à la diffusion des recherches pasteuriennes sur les micro-organismes, vers 1880, les mauvaises odeurs sont considérées en Europe comme agissant directement sur la santé et la vie. Les exhalaisons nauséabondes émanant des cloaques, charniers, fosses d’aisances et marécages, sont accusées de provoquer de nombreuses maladies mortelles. Cela vaut naturellement pour la peste. Une telle conception peut surprendre tant elle est éloignée de nos idées actuelles. Souvenons-nous toutefois que la découverte par Yersin ]du bacille pesteux et du rôle de la puce du rat dans sa propagation n’intervient qu’à l’extrême fin du XIXe siècle. Les travaux relatifs à l’épidémie abondent et ont apporté de multiples informations sur l’histoire des pestes et tous leurs aspects démographiques, économiques et sociologiques. Mais la relation de la peste avec l’odeur a été essentiellement évoquée à propos des méthodes utilisées pour combattre le fléau. Or, je l’ai constaté, elle est beaucoup plus profonde. La peste elle-même a été réellement conçue comme une odeur. Pendant des siècles, cette représentation a été au cœur des croyances populaires et des différentes théories médicales concernant l’étiologie et la propagation de la peste. La préservation et la cure par les odeurs n’en sont que la conséquence logique. Il en est de même pour toute une série de mesures de désodorisation complémentaires passant par un développement de l’hygiène publique et privée et certaines mises à l’écart sociales. Ainsi la peste m’est-elle apparue comme un révélateur privilégié des pouvoirs mortifères, prophylactiques et curatifs qui furent reconnus à l’odeur.
La propreté au temps de Louis XIV en collaboration avec Georges Vigarello in L’Histoire, l’hygiène des français n°78 mai 1985. Louis XIV ne se lavait pratiquement pas. La toilette, à cette époque, nécessite peu d’eau, mais des parfums en abondance. Et, surtout, du linge propre plusieurs fois par jour. Faut-il en conclure qu’au Grand Siècle les Français étaient sales ?
Qu’est-ce que la toilette royale au temps de Louis XIV ? Un rituel plus théâtral qu’hygiénique, avant tout l’occasion pour les hiérarchies de la cour de se donner en spectacle. A huit heures, la nourrice, le chirurgien et le médecin entrent les premiers. Tous trois frottent le corps du roi pour effacer la sueur et changent sa chemise pour qu’il « ait ses aises ». Un valet lui verse sur les mains un flacon d’esprit de vin. A huit heures et quart, le grand chambellan ou le premier gentilhomme « de la chambre d’année » lui présente l’eau bénite. Le roi est habillé et peigné. Il est rasé un jour sur deux. Ni meuble ni objet de toilette devant lui, sinon un miroir tenu par un valet. Un peu plus tard, avant de se mettre à table, le roi s’assied sur sa chaise percée ‘. Rituel quotidien scrupuleusement observé à la même heure. Aucune présence de l’eau (à l’exception de l’eau bénite) dans ce lent scénario où les membres de la cour sont intervenus selon un ordre réglé par le degré d’intimité …
L’odeur de la peste in L’épidémie – Traverses, septembre 1984, n°32. Synonyme d’une fin effroyable, la peste a, de l’Antiquité jusqu’à la découverte du bacille pesteux par Yersin à la fin du XIX e siècle, été pensée en relation avec la putridité et les mauvaises odeurs. Ceci explique que l’aromathérapie soit durant cette longue période au cœur de la lutte contre le fléau. Feux odorants, pommes de senteurs, pilules aromatiques anti-pestilentielles ont été les armes dérisoires opposées à l’épidémie. C’est encore à des « parfumeurs de peste » que l’on confie la tâche de désinfecter les maisons, les animaux et les personnes au moyen de parfums « forts », « médiocres » ou « doux ». Traverses, une revue du Centre Georges Pompidou
La thérapie par les odeurs et les parfums « L’odorat aujourd’hui est un sens très à la mode et les odeurs entrent même dans les hôpitaux, dans les prisons. A la prison de Fresnes, une olfacto-thérapeute essaie de resocialiser les détenus en leur faisant sentir des odeurs qui ne pénètrent pas dans la prison : odeurs de mer, de sapin, de cassis, de feu de bois, …. Ce qui leur permet une sorte d’évasion. Elle leur ouvre des fenêtres sur le monde grâce aux odeurs. Les détenus, qui se plaignent de l’odeur carcérale, qui est très négative pour eux, s’échappent olfactivement par ces mouillettes parfumées qu’on leur fait sentir, se détendent et arrivent aussi à se reconstruire par ce biais olfactif. »