Libération 26 janvier 2014 : Le Net monte au nez par Coralie Schaub 

26 janvier 2014 : Le Net monte au nez, ENQUÊTE Par Coralie Schaub

 

Après la vue, l’ouïe, et le toucher, nos machines seront bientôt capables de détecter et diffuser les  odeurs. Autant d’applications dans le Jeu vidéo, l’e-commerce ou la santé…

«Je ne le sens pas.» «Ça pue.» «Y’a comme une odeur.» Voilà trois expressions françaises qui n’ont pas du tout influencé les concepteurs japonais de Scentee, un diffuseur de fragrances connectable à un smartphone. Commercialisé depuis quelques semaines, le gadget est un petit accessoire rond à brancher sur la prise casque du téléphone, et dans lequel on glisse une capsule. Noix de coco, lavande, curry, fraise, soupe de maïs (!), menthe : une vingtaine de parfums sont disponibles. Se faire réveiller par des e-effluves de café, envoyer à sa chérie un SMS parfumé à la rose, se faire titiller les narines à coup de spray senteur steak quand on est au régime : Scentee permet des acrobaties olfactives dont l’utilité vous paraîtra moyennement fondamentale. Pourtant, les Japonais ne sont pas les seuls à considérer l’odorat comme la nouvelle frontière de l’ère numérique. L’Ophone, imaginé par des chercheurs de Harvard, a suscité admiration, rires ou perplexité l’été dernier lors de sa démonstration au centre d’expérimentation artistique parisien le Laboratoire, puis à Londres en octobre lors d’une conférence du magazine Wired. Ce prototype de téléphone diffuseur d’odeurs a pour ambition de «mieux communiquer nos pensées et nos émotions, et même surmonter les barrières des langages, des cultures et des espèces entre elles». Rien que ça.

Un goût de biscuit

A Berlin, en avril dernier, la Société de l’olfaction numérique, qui se veut très sérieuse, organisait son «premier congrès mondial». Les participants – peu nombreux – ont pu s’esbaudir devant de drôles de machines, comme le Virtual Ice Cream Shop (qui fabrique des arômes à partir de notes de musique, un peu comme le pianocktail imaginé par Boris Vian dans l’Ecume des jours) ou le Meta Cookie (qui tente de modifier la perception du goût d’un biscuit afin «d’augmenter le sentiment de satiété»). L’organisateur de ce raout, Marvin Edeas, est convaincu que la «numérisation des odeurs permettra d’améliorer notre quotidien».

L’idée de donner un pif à nos objets électroniques n’est pas nouvelle. Il y a une quinzaine d’années, l’excitation médiatique était à son comble : nous allions renifler le Web. Une start-up californienne, DigiScents, faisait le buzz avec son iSmell, sorte d’imprimante à odeurs promettant de fabriquer des senteurs correspondant à ce qui se passe à l’écran. Hélas (?), ce fut un échec. La technologie n’était pas prête. Le public non plus. Pas étonnant quand on sait que, pendant des siècles, l’odorat n’a pas été en odeur de sainteté. Pire, il a longtemps été perçu comme un sens inférieur : celui de l’animalité. 

«Kant et Descartes considéraient qu’il était ingrat, inutile, grossier. Hegel affirmait qu’il ne pouvait pas donner naissance à un art, contrairement à la vue et l’ouïe. Freud disait qu’il fallait le refouler pour que la civilisation se développe», raconte l’anthropologue et philosophe Annick Le Guérer, auteure des Pouvoirs de l’odeur (Odile Jacob). Conséquence de ces préjugés : l’odorat n’est pris au sérieux par les chercheurs que depuis à peine trente ans.

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