Libération 18 novembre 2003 :  L’odorat, sens du futur

18 novembre 2003 :  L’odorat, sens du futur

Longtemps considéré comme le parent pauvre des sens, l’odorat est aujourd’hui en vedette et investit constamment de nouvelles places. Dans des domaines aussi différents que l’éducation, le marketing, la santé ou la culture, se multiplient expériences, réalisations et recherches nouvelles qui augurent un avenir prometteur.

C’est ainsi que des équipes médicales travaillent sur le cas de personnes isolées qui ont perdu la notion du temps. On tente de les aider à retrouver un rythme de vie régulier par la diffusion d’odeurs spécifiques à l’heure du lever et du coucher. D’autres protocoles utilisant le même principe sont à l’étude pour contribuer à rendre l’appétit à des anorexiques ou à des personnes âgées menacées de dénutrition. Si toutes ces tentatives suscitent quelques réserves, elles sont néanmoins significatives.

A la prison de Fresnes, une association propose aux détenus de respirer des «mouillettes» trempées dans différentes fragrances : gazon fraîchement coupé, laurier, feu de bois, mûre… Le but poursuivi est d’apporter un soulagement à l’angoisse engendrée par l’univers carcéral en ouvrant des «fenêtres olfactives» sur le monde extérieur. Les odeurs envahissent aussi progressivement l’aire culturelle. Expositions et spectacles odorisés sont de plus en plus nombreux. Au Salon de l’agriculture de 2002, les visiteurs pouvaient faire une «balade olfactive» au coeur des vignobles et des forêts de Bourgogne. La même année, au Festival de musique de Lucerne, l’exécution de Schéhérazade de Maurice Ravel était accompagnée d’une diffusion de senteurs de musc et de rose et celle de Rimski-Korsakov était illustrée par des fragrances d’encens et de cannelle.

Et voici même que le Web et le multimédia s’odorisent. En cliquant avec sa souris, l’utilisateur peut aussi bien humer les principaux composants d’un parfum de grande marque que découvrir les arômes des fruits et des plantes d’une pépinière. Chaînes de télé interactives odorantes et jeux vidéo peuvent restituer des ambiances olfactives appropriées : café chaud dans la cuisine, vieilles reliures dans la bibliothèque, relents de pneus brûlés sur un circuit automobile.

Cette irruption de l’odorat dans le monde du virtuel est d’ailleurs très symbolique du rôle futur de ce sens. Si on fait appel à lui dans ce contexte, n’est-ce pas pour lui demander d’y insuffler une dose de sensibilité, d’affectivité, d’émotion, en un mot d’humanité ?

Peut-on aller plus loin et dépasser l’illustration par les odeurs pour dégager l’identité olfactive d’une société, d’une région, voire d’un pays ?

C’est cette gageure que tente l’exposition «Odeurs des Alpes», organisée à Schwytz par le Groupe des musées nationaux suisses et par la société Givaudan qui en a réalisé les odeurs. Le visiteur est invité à cerner la spécificité suisse à travers une centaine d’exhalaisons contrastées. Elles vont des senteurs des plantes alpines jusqu’aux effluves puissants de lait, de beurre rance, de vieux bouc des fermes de montagne et même de l’armée (graisse à fusil et camphre qui protègent l’arme et l’uniforme dans l’armoire de chaque soldat-citoyen). Première exposition dont l’unique thème est l’identité olfactive d’un pays, cette manifestation, par son enjeu historique et culturel, participe de façon décisive au rebond actuel de l’odorat et des odeurs.