L’HIRONDELLE : L’ODORAT, LE SENS RÉVOLUTIONNAIRE DU XXIÈ SIÈCLE ?

L’ODORAT, LE SENS RÉVOLUTIONNAIRE DU XXIÈ SIÈCLE ?

L’agence L’HIRONDELLE a interviewé Annick Le Guérer, anthropologue et philosophe, spécialiste de l’odorat, des odeurs et du parfum afin qu’elle nous éclaire sur les nombreux mystères et pouvoirs associés à ce sens.

Voyage d'Automne épicé

 1/ POURQUOI L’ODORAT REDEVIENT-IL À LA MODE ?

L’odorat passionne aujourd’hui et est totalement réhabilité. Les scientifiques s’y intéressent beaucoup, à tel point que les parfums entrent dans l’univers des hôpitaux pour toute sorte d’applications thérapeutiques : opération sous hypnose avec diffusion de parfums, soins palliatifs, oncologie, personnes âgées dans les EPAHD…

Mais on revient de loin ! Car le rationnel l’a emporté sur l’affectivité. La révolution sexuelle des années 70 a été une première étape. En privilégiant l’émotion, elle revalorise l’odorat, très lié à l’émotion. Mais il faudra attendre les années 80 pour que les sciences humaines, notamment l’histoire et l’anthropologie, commencent à s’intéresser à l’univers des odeurs et des parfums à travers le temps. Ainsi, Piero Camporesi découvre que les hommes de la Renaissance avaient une perception olfactive aiguë. Alain Corbin, historien du sensible, raconte dans Le miasme et la jonquille l’histoire et la perception des odeurs au XIXè siècle. Elles sont frappées de tous les tabous et construisent des frontières sociales. Georges Vigarello s’intéresse aussi à l’odorat en retraçant les représentations et pratiques du corps. Dès les années 80, j’ai fait partie de ce courant qui attire l’intérêt sur un sens très négligé en préparant une thèse sur l’odeur, l’odorat et le parfum, en écrivant des articles et en publiant en 1988, Les Pouvoirs de l’Odeur. Mais attention, il faudra attendre le début des années 2000 pour que des scientifiques, tels que Richard Axel et Linda Buck portent leur réflexion sur l’importance des neurorécepteurs. Et cet intérêt récent galvanise les recherches actuelles.

2/ D’OÙ VIENT LA PEUR DES ODEURS AU POINT DE CHERCHER À LES MASQUER ? EST-CE UN PHÉNOMÈNE CULTUREL EXCLUSIVEMENT OCCIDENTAL ?

Dès l’Antiquité, les mauvaises odeurs ont été considérées comme apportant la maladie et les bonnes comme étant salvatrices. Pour les médecins, toute la vertu des médicaments ne consiste que dans leur odeur.

Mais les odeurs sont aussi liées à la sexualité, à l’animalité humaine et donc au péché originel. L’odorat a été malmené ! Proscrit dès l’Antiquité par Platon et Aristote, ce sens est considéré comme inférieur aux sens nobles et intellectuels de l’ouïe et de la vue. C’est Nietzsche qui va assumer sa force émotionnelle, instinctuelle et non rationnelle. En effet, pour lui, ce sens est supérieur parce qu’il  ne ment pas ; il vient du fin fond de l’être. « Tout mon génie est dans mes narines » disait-il.

Le discrédit philosophique des odeurs et de l’odorat a perduré avec la psychanalyse qui a considéré son effacement comme nécessaire. Pour Freud, nos lointains ancêtres avaient certes un odorat développé parce qu’ils marchaient à 4 pattes (leur nez était près du sol) mais ils étaient incapables de fonder une civilisation parce que trop occupés à chercher des partenaires sexuelles. L’homme verticalisé s’est éloigné du sol et s’intéresse à des tâches plus nobles (Malaise dans la civilisation). Freud considère que l’effacement de l’odorat est nécessaire au développement de la civilisation mais reconnaît néanmoins son importance dans la sexualité, le bonheur. Il construit sa théorie du refoulement, fondement de la psychanalyse, à partir du refoulement de l’odorat. Pour lui, une grande sensibilité olfactive  est une preuve de névrose ! Françoise Dolto a vu l’importance de l’odeur apaisante du sein maternel, mais elle aussi a considéré l’odeur comme animale.

Tout cela explique pourquoi l’odorat a été mis à l’écart aussi longtemps. Et cela perdure encore chez beaucoup de psychanalystes.

Il faut noter que ce discrédit de l’odorat et de l’usage profane du parfum (à l’exception de son usage thérapeutique) est occidental. La culture asiatique a toujours prêté des vertus médicinales aux odeurs. Quant à la culture arabe, Mahomet revendiquait son goût pour « le parfum, la prière et les femmes ».

3/ QUELLE EST L’INFLUENCE DU CHRISTIANISME DANS LA DÉVALUATION DE L’ODORAT ET DE L’ODEUR ?

Le parfum doit être seulement utilisé pour communiquer avec Dieu : l’encens, la myrrhe…ont été offerts par les rois mages à l’enfant Jésus. Moïse a reçu de Yahvé la formule sacrée du parfum perpétuel pour entrer en relation avec lui..

Les pères de l’église vont discréditer le but profane des parfums : ils sont un piège pour l’homme. Le parfum sert la concupiscence, la sexualité. Pour dissuader les Romaines de se parfumer, Tertullien leur faisait peur en leur disant que le parfumage de leur chevelure les rendrait chauves et folles !

Au Moyen-Âge, en dépit de son discrédit, le parfum va retrouver sa valeur dans sa fonction prophylactique et thérapeutique. Les moines dans le jardin des simples cultivent toutes sortes de plantes aromatiques et médicinales pour soigner les maladies. Cette fonction thérapeutique perdure jusqu’à l’arrivée de la chimie.

4/ POURQUOI PARLE T-ON DU POUVOIR SACRÉ DES ODEURS ?

La première fonction du parfum pour les hommes de l’Antiquité était de demander aux dieux leur protection. En Égypte, les rituels d’embaumement permettaient au mort, voué à la putréfaction, d’accéder à la vie éternelle en devenant un « parfumé », un « dieu ».

Finalement, il y a les « bonnes » et les « mauvaises odeurs » Les bonnes odeurs sont du côté des dieux, les mauvaises du mal.

5/ DES EXEMPLES DE « BONNES ODEURS » CURATIVES ?

L’encens est une gomme aromatique venant d’un arbre que l’on trouve au Yémen, en Somalie. Une fois l’arbre incisé, la gomme coule pour être ensuite brulée. Les volutes de fumée odorante s’élevant vers les cieux permettent à l’homme de communiquer avec les dieux. Mais il a aussi une vertu thérapeutique : anti-inflammatoire. Néron l’utilisait pour effacer ses ecchymoses suite à ses orgies nocturnes.

La myrrhe sert à renforcer les défenses immunitaires. La sauge (du latin salvare : sauver) a des vertus bactéricides, tout comme la sarriette ou le romarin. A ce sujet, il ne faut pas oublier l’eau de la reine de Hongrie, premier parfum fait avec de la fleur de romarin distillée avec de l’alcool. Elle sera considérée  du XIVè siècle au XVIIIè siècle comme la panacée pour soigner bronchites et toutes sortes de maux.

Toutes les vertus apaisantes, anti-inflammatoires, antivirales de ces gommes et plantes sont reconnues aujourd’hui.

6) QUEL EST LE LIEN ENTRE LE PARFUM ET LE DÉSIR DANS L’HISTOIRE ET LES MYTHES ?

Le lien est très ancien. Le mythe de la panthère parfumée en est un exemple. Cet animal est le seul à émettre un bon parfum pour attirer les bêtes sauvages. Par voie de conséquence, une belle courtisane, telle une panthère, qui sent bon, saura attirer les hommes.

Mais il y a eu un glissement dans le temps. Les putains sont au Moyen-Age considérées comme puantes (putain vient du latin puer). Ces femmes entraînent les hommes dans le péché et sont associées au diable.

Aujourd’hui, l’odeur corporelle est considérée comme un signe d’identité, car elle est unique. De même, un parfum bien choisi, en adéquation avec la personne, exprime une autre facette de sa personnalité.

7/ QUEL EST LE RÔLE MÉMORIEL DES ODEURS ?

C’est une histoire ancienne. Il est amusant de se rappeler qu’avant de partir à la guerre, les châtelains de la Renaissance laissaient à leur épouse un linge parfumé pour laisser des traces de leur odeur à l’être aimé.

Mais ce sont surtout des écrivains célèbres qui ont immortalisé la mémoire des odeurs.

A commencer par Georges Sand qui quitte Alfred de Musset, lors de  leur séjour à Venise. Mais, nostalgique, elle lui demande de lui envoyer le parfum qu’elle portait du temps de leurs amours. Ce parfum garde pour elle la mémoire de l’homme qu’elle a adoré. Elle parlera d’ailleurs toujours de ses amours en termes olfactifs. « Le parfum de l’âme, c’est le souvenir… L’affection d’un absent n’est plus qu’un parfum ; mais qu’il est doux et suave ! Ne crains pas, ô toi qui as laissé sur mon chemin cette trace embaumée, ne crains jamais que je la laisse se perdre. Je la serrerai dans mon coeur silencieux, comme une essence subtile dans un flacon scellé ».

Bien entendu, tout le monde connaît la fameuse madeleine de Proust. Marcel Proust met à l’honneur la mémoire immédiate et involontaire : retrouver un pan entier de sa vie grâce au surgissement d’une odeur qui envahit son être. L’odeur et la saveur de la friandise font réapparaître de façon très vivante et concrète la maison de sa tante Léonie où il allait, enfant, passer ses vacances.

Curieusement, le vocabulaire olfactif manque et nécessite de recourir aux autres sens pour parler des odeurs. Des expressions comme : « être en odeur de sainteté », « avoir du nez », « avoir quelqu’un dans le nez » montrent pourtant l’importance de l’olfactif dans les relations sociales. La perception des odeurs est décidément un sujet qui intrigue, fascine et suscite toute sorte d’émotions !


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