La Vie : Dossier Odorat et Parfums – Nos nez malmenés

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Le choix de la Vie : Dossier Odorat et Parfums « Nos nez malmenés »

Du masque à l’anosmie, l’odorat est mis à rude épreuve depuis que le Covid-19 a pris place parmi nous. Ce sens nous apparaît essentiel à nos relations sociales, du parfum dont on se pare aux émotions qu’il suscite.

Et si l’on se mettait au parfum ?

En cette période de couvre-feux et de confinements, il n’a peut-être jamais été aussi vital de se laisser mener par le bout du nez, dans la ronde des odeurs. (…)

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Réenchanter son quotidien, mais pas uniquement. La crise sanitaire a fait resurgir une fonction oubliée du parfum, sa fonction protectrice et thérapeutique. « Depuis l’Antiquité, le parfum a été considéré comme un médicament, une protection contre ce que l’on appelait les miasmes, et que l’on nomme aujourd’hui les virus, les microbes. On utilisait le parfum pour se protéger des épidémies, des maladies. Cet usage a duré jusqu’à la fin du XIXe siècle, lorsque le médicament chimique a pris le pas sur le parfum, explique Annick Le Guérer, anthropologue, philosophe et historienne spécialiste du parfum et des odeurs. Le premier parfum protecteur et thérapeutique dont nous possédons la recette est le fameux kyphi, qui a existé dès le VIIe siècle av. J.-C., et qui a été reconstitué par le parfumeur Dominique Ropion. Le kyphi était sollicité pour soigner les maladies pulmonaires, intestinales, les défenses immunitaires, mais aussi pour euphoriser. »

Le nez dans les roses. Intarissable, l’historienne, auteure de l’essai le Parfum, Des origines à nos jours (Odile Jacob, 2005), rappelle que le parfum, considéré comme « la sueur des dieux du Nil » en Égypte, berceau de la parfumerie, a été le premier remède contre la peste. Il est fascinant, en cette période de coronavirus, de l’écouter évoquer, par exemple, ces « pommes de senteurs » que l’on emportait avec soi, au Moyen Âge, pour se protéger des épidémies, considérées comme des « corruptions meurtrières » de l’air. En 1370 apparaît la première formule alcoolique d’Occident, à base de romarin et d’esprit-de-vin, l’« eau de la reine de Hongrie ». Peste noire de 1348, épidémies de 1520-1535, puis de 1628 1631… Formules et médications, pilules aromatiques, feux de bois odorants, gants parfumés sont requis pour résister à l’emprise des « vapeurs venimeuses ». 

Même si, comme l’écrit en 1617 le médecin et chimiste italien Angelo Sala, « on ne peut pas toujours conserver la santé en se tenant le nez dans les roses » ! À l’énoncé de ces traitements aromatiques, mis en oeuvre avec une « élégance prophylactique », la tentation de comparer cette atmosphère d’autrefois avec notre mauvais air actuel est forte. «Évidemment, on ne peut pas se protéger du coronavirus avec des parfums.

« Quand on se parfume, il y a déjà une volonté de ne pas s’avouer vaincu.
Les soldats romains se parfumaient ! »

Mais les parfums aux huiles essentielles, qui ont un côté antiseptique, donnent aux consommateurs l’impression d’être protégés. Avec la crise sanitaire, les gens utilisent le parfum comme une protection. C’est une aide au moins psychologique ! Aujourd’hui, les gens se tournent vers des parfums dits protecteurs, aux vertus bactéricides », explique Annick Le Guérer, qui contribua avec l’ingénieur agronome et docteur ès sciences Roland Salesse au développement de l’éducation olfactive en France. Elle ajoute : « Peut-être cette crise sanitaire donnera- t-elle naissance à une parfumerie qui fera davantage appel aux matières premières naturelles, avec le moins de chimie possible. Au XVIIe siècle, le parfum contenait du sang, des substances animales, comme le musc, l’ambre, la civette. Son histoire est celle d’une désincarnation. Aujourd’hui, les consommateurs redemandent des parfums qui ont de la substance et du sens. C’est l’une des raisons sans doute du goût actuel pour l’oud, un parfum fait avec un bois qui a des odeurs animales. » Pour Annick Le Guérer, qui ne cesse de répéter que « perdre l’odorat et ne plus sentir le monde est une amputation », le parfum est une sorte d’« aura protectrice ». Un halo réconfortant, comme un imperceptible cocon. « Dans les années 2000, déjà, après l’apparition de la crise économique, les gens se sont réfugiés dans les parfums dits “gourmands”, avec des odeurs sucrées qui les apaisent. Ces produits plaisent toujours. » Des parfums que l’on achète moins pour séduire que pour se rassurer. « Le parfum donne une réassurance. Quand on se parfume, il y a déjà une volonté de se tenir debout et de ne pas s’avouer vaincu. D’ailleurs, les soldats romains se parfumaient ! » (…) LIRE L’INTEGRALITE DE L’ARTICLE