1er décembre 2010 – Enquête « Parfums : chefs-d’œuvre en péril » par Véronique Hayoun
Les réglementations européennes et l’autorégulation de l’industrie du parfum diminuent drastiquement la liste des matières utilisables par les parfumeurs.
Le monde feutré de la parfumerie ne cache plus son inquiétude et sa colère devant une législation européenne qui ne cesse de limiter l’utilisation des matériaux naturels et de synthèse pour les créateurs. «Nous sommes très soucieux, déclare, exaspéré, Patrick Saint-Yves, président de la Société française des parfumeurs (SFP). Si vous dirigiez une association de peintres et que l’on vous interdisait soudainement d’utiliser le bleu? Cela vous change un métier!» Les parfumeurs considèrent volontiers les matières odorantes avec lesquelles ils composent leurs fragrances comme les couleurs du peintre ou comme les notes d’une partition. Et leur palette comporte 3200 odeurs répertoriées, naturelles et synthétiques. (…)
La civette, avec le musc, l’ambre gris et le castoréum, fait partie de ces produits animaux phares qui, depuis l’origine de la parfumerie, ont été mêlés à son histoire, souligne Annick Le Guérer dans Le Parfum, des origines à nos jours5 . Les trois premiers ont été abandonnés en raison de leur coût trop élevé ou pour protéger certaines espèces, dont le chat-civette. Ces matériaux, qui permettent de fixer une fragrance, ont été remplacés par des molécules de synthèse.
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Annick Le Guérer écrit justement: «Loin d’être «le luxe le plus inutile de tous», comme l’affirmait le naturaliste latin Pline l’Ancien, le parfum est révélateur de la société qui le produit. Il en reflète les valeurs, les problèmes, les évolutions.»17 Ce goût du naturel n’ouvrirait-il donc pas une phase de réaction dans l’histoire du parfum, qui est entré dans la modernité et a acquis le statut d’œuvre d’art, pour certains du moins, grâce à la synthèse?
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Les parfumeurs n’ont donc pas fini de voir diminuer les couleurs de leurs palettes. Au-delà du carcan, certains sauront encore s’exprimer avec grâce et virtuosité, dans des eaux diaphanes, évoquant des haïkus. Et il y a les autres, qui préfèrent l’huile à l’aquarelle: «Pour sauver leurs créations, de plus en plus de parfumeurs vont se mettre à leur compte, est convaincue Annick Le Guérer. J’en connais qui font du naturel en indépendants, c’est le seul moyen de s’en sortir. Un parfumeur peut faire ce qu’il veut à condition d’avertir ses clients, car les amendements de l’IFRA ne sont pas obligatoires.» (…)