« Uniformisation », « banalisation », sont les termes les plus fréquemment employés pour décrire l’état général de la parfumerie actuelle.
Les raisons doivent en être cherchées essentiellement dans la concentration des marques au sein de grands groupes, soucieux avant tout de développer au plan mondial une parfumerie mass-market, acceptable par le plus grand nombre, et dont la politique de lancements à haute fréquence de produits éphémères, favorise la copie au détriment de l’originalité..
Même si une parfumerie à deux vitesses, l’une pour le consommateur lambda, l’autre innovante et de qualité supérieure pour une élite a toujours existé, cette tendance s’accentue actuellement avec la mondialisation de cette industrie.
L’industrialisation/démocratisation/mondialisation s’inscrit dans une logique de production de masse et de recherche permanente de l’abaissement du prix de revient difficilement conciliable avec l’exigence d’un haut niveau de qualité et de créativité. Le phénomène s’est aggravé dans les années 1970 avec l’apparition d’un nouvel acteur venu des Etats-Unis : le marketing. Il entend à la fois déceler les attentes du consommateur et orienter ses choix mais aussi diriger le travail du parfumeur en fonction de clientèles ciblées.
L’emprise du marketing qui s’exerce de la conception à la commercialisation instaure un rapport de valeurs nouveau dans lequel la communication sur le produit compte plus que le produit lui-même. Dans le prix de vente d’un parfum il devient courant que 98% soient représentés par le marketing, la publicité et le conditionnement, le « jus » étant réduit à la portion congrue . Situation qu’un grand parfumeur résume en une boutade : « on nous impose aujourd’hui des coûts de matières premières qui font qu’on ne peut plus rien mettre. Il faudrait faire des parfums avec de l’eau parce que ce n’est pas cher[1] ».
Une contrainte à laquelle s’en ajoute une autre, née de la prolifération des recommandations et réglementations visant à limiter ou interdire l’usage de nombreux produits considérés comme nocifs pour la santé ou susceptibles de l’être. Les exigences qui conduisent à reformuler nombre de parfums existants contribuent également à brider la liberté créatrice des compositeurs.
Les parfumeurs « de niche » ou de « Haute Parfumerie » Pour tenter de retrouver une originalité malmenée par des impératifs divers, il n’est pas étonnant que certains amateurs déçus se tournent vers des parfums « de niche », plus coûteux, élaborés par de petites maisons qui, ne cherchant pas à plaire à un très large public, n’investissent pas dans la publicité mais dans les composants et la création. Ainsi s’affirme une parfumerie élitiste aux antipodes d’une parfumerie de masse qui s’est écartée de l’idéal proposé par François Coty.
Les parfumeurs « de niche » ou de « Haute Parfumerie » comme Patricia de Nicolaï, Sevessence, Odeurs de Sainteté, Diptyque, L’Artisan Parfumeur, Frédéric Malle, Serge Lutens, Different Compagny, Parfum d’Empire, les Parfums de Rosine, Frapin, Laura Tonatto, Vero Profumo, Atelier-Flou, Francis Kurkjian… et bien d’autres encore, s’adressent à une clientèle restreinte demandeuse de belles matières premières et de créations inédites. En marge de l’industrie « lourde » du parfum qui déploie pour chaque nouveau produit, campagnes de promotion, échantillons, films, égéries mondialement connues, ces petites structures audacieuses cherchent à expérimenter des fragrances qui sortent des sentiers battus.
En supprimant ou limitant la publicité et les tests qui entravent l’innovation, elles mettent tout leur budget dans les ingrédients et dans l’exploration de voies nouvelles et prennent infiniment moins de risques financiers, mais beaucoup plus de risques esthétiques que les grandes marques.
Le succès remporté par ce mouvement, même s’il tend aujourd’hui à se galvauder, ne pouvait laisser ces dernières indifférentes. Certaines ont réagi en créant de luxueuses collections particulières qui se démarquent de leur production habituelle et s’adressent à des amateurs exigeants prêts à payer le prix de la différence.
L’harmonie des harmonies. Ces parfums « sélectifs » ou « exclusifs » proposés dans quelques points de vente, ne sont évidemment pas destinés au même public que ceux vendus par les grands circuits de distribution.
Réenchanter le parfum pour faire à nouveau rêver le consommateur, perdu dans la multitude de lancements qui ne lui laissent pas de grand souvenir, est une ambition qui ne peut que convenir à l’Osmothèque, soucieuse de transmettre à nos descendants des témoignages olfactifs de qualité sur l’esprit de notre temps. Une fonction essentielle pour le développement d’une culture olfactive, riche de potentialités encore inexploitées, et d’autant plus nécessaire, qu’après un long purgatoire de discrédit scientifique, philosophique et psychanalytique, l’odorat est aujourd’hui mieux connu et complètement réhabilité.
Loin d’être un sens inférieur qu’il est « inutile de développer » comme le prétendait Kant, il joue un rôle capital dans l’affectivité, la mémoire, l’intuition. Ce n’est pas un hasard si les «mouillettes» parfumées entrent aujourd’hui dans les écoles, les hôpitaux, voire les prisons, dans des buts éducatifs, curatifs ou de resocialisation et si la dimension olfactive est prise en compte dans un nombre croissant de manifestations culturelles. Raison de plus pour éduquer notre nez et nous rendre encore plus curieux des travaux des parfumeurs. D’aucuns n’hésitent pas d’ailleurs, dans le sillage de Huysmans et de Roudnitska, à revendiquer pour les créations de la parfumerie la protection juridique dont bénéficie toute œuvre d’art.
Une démarche qu’aurait approuvée George Sand qui, au terme d’une vie baignée par la littérature et la musique, affirmait : « le parfum est l’harmonie des harmonies »