Patricia de Nicolaï
Une avant-gardiste
Lorsque Patricia de Nicolaï décide de devenir compositeur-parfumeur, il n’était pas courant pour une femme de faire ce choix. Dans les années 80 ce métier était encore réservé aux hommes. La vocation féminine restait de faire des enfants. Même faire un stage chez Guerlain alors qu’elle fait partie de la famille lui était refusé. Toutefois, avec l’appui de Jean-Paul Guerlain dont elle est la nièce, elle réussit, à sa sortie de l’ISIPCA, à entrer chez Florasynth. Après avoir travaillé deux ans dans cette maison et cinq ans chez Quest, elle s’installe avec son mari qui dirige la société fin 1989. À une époque où le métier de parfumeur n’était pas mis en avant et où les compositeurs de parfum vivaient dans l’ombre des marques, elle voulait s’affirmer comme créateur, s’exprimer en toute liberté, utiliser les essences les plus précieuses, les plus originales, et produire des fragrances haut de gamme qui ne soient pas obligées de coller aux besoins du marché.
«Comme je suis responsable de la création et que je choisis mes matières premières sans avoir de compte à rendre à un groupe, je peux utiliser de très belles choses. C’est un avantage énorme ».
Autre particularité : Patricia de Nicolaï fait partie des très rares parfumeurs indépendants qui, comme Chanel, crée et fabrique ses parfums. Elle a aujourd’hui sept boutiques à Paris (première marque de niche en termes de boutiques parisiennes) et une à Londres. Son atelier de production se trouve près d’Orléans dans la Cosmetic Valley.
Sa petite unité ne fait ni publicité ni de coûteuses études marketing avant de lancer un produit et tout l’argent va dans les jus. À l’opposé des parfums commerciaux, les siens, très sélectifs, n’hésitent pas à faire appel à des notes qui, comme le mimosa, ne sont pas du goût de tout le monde.
Rose-Pivoine, Eau d’été, Juste un rêve, Vanille-tonka, Sacrebleu, Mimosaïque, Numberone, Odalisque, Patchouli Intense, Musc Intense, Cuir Cuba Intense, Kiss Me Intense, Bal à Venise, Fou d’Ambre, Fleur de Tiaré, Un soir en Sicile ou encore Havane, un travail sur l’héliotrope)… autant de fragrances qui, à l’évidence, ne sont pas conçues pour plaire facilement au plus grand nombre.
En fabriquant elle-même ses parfums sans faire appel aux sociétés de composition, elle supprime une marge et peut mettre davantage d’ingrédients naturels, un goût qu’elle a en commun avec son oncle. « Cela fait une énorme différence surtout pour les parfums d’ambiance, travaillés de la même façon que les fragrances corporelles. Les naturels qu’ils contiennent donnent beaucoup de substantivité et apportent énormément à la qualité. J’avoue qu’on a bien percé grâce à ça. On s’est fait une niche ».
Bal à Venise, Fou d’Ambre, Fleur de Tiaré, Un soir en Sicile ou encore Havane se déclinent en spray, bougie, huile à brûler mais aussi recharge pour lampe à parfum et bambous parfumés.
La création des parfums d’ambiance l’intéresse vivement car l’acceptation de l’originalité est beaucoup plus grande ce qui conduit à aller très loin dans la recherche. À partir de ses quarante senteurs d’atmosphère, elle trouve de nouvelles pistes pour les fragrances corporelles.
Descendante de Pierre Guerlain, elle est née le nez dans les grands parfums de la famille. Souvenir de cette époque glorieuse : Maharadjah, le best seller de Patricia de Nicolaï, est une évocation du pot pourri de ses illustres ancêtres ( un accord patchouli, cannelle, girofle, santal, lavande, vanille), retiré de la vente aujourd’hui, mais que sa mère offrait à ses invités.
C’est encore pour protéger le précieux patrimoine de la parfumerie française que Patricia de Nicolaï a accepté depuis le départ de Jean Kerléo, en 2007, la présidence de l’Osmothèque de Versailles. Une collection de plus de deux mille parfums qu’il faut constamment ranger, réévaluer. Un conservatoire vivant toujours en expansion, un incontournable objet culturel qui montrent bien que la parfumerie fine est un art. « C’est par le biais de l’Osmothèque que l’on peut faire grandir notre profession, raconter son histoire et les talents des créateurs », conclut Patricia de Nicolaï qui s’est toujours battu pour défendre une parfumerie artistique.