©  LE  PARFUM, OBJET CULTUREL ET  MIROIR DE LA SOCIÉTÉ par Annick Le Guérer

Si le parfum qui traverse le temps  continue  de nous fasciner,  malgré la surabondance des lancements, c’est parce qu’il a joué et continue de jouer dans la vie des humains un rôle considérable. Loin d’être le « luxe le plus inutile de tous  » comme l’affirmait  le naturaliste latin Pline l’Ancien, le parfum est révélateur de la société qui le produit. Il en reflète les valeurs, les problèmes, les évolutions.

L’Égypte pharaonique où la religion et la croyance en une vie après la mort dominent toute la vie sociale, en fait la « sueur des dieux » et les rapports organiques, charnels, humoraux qu’il entretient avec eux sont fortement affirmés dans les rituels funéraires qui divinisent  le défunt en faisant de lui un « Parfumé ». Le parfum est certes un acteur des plaisirs et des fêtes, mais ces fonctions sont bien accessoires au regard de celles qu’il tient de sa nature divine : purifier, protéger, régénérer, guérir, « enchanter le coeur des dieux ».

Dans l’Europe du XVI e et du XVII e siècles, parcourue d’épidémies incessantes, gants parfumés, sachets odorants, pommes et vinaigres de senteurs sont les moyens d’une élégance prophylactique, répondant à la hantise de la contagion par le contact de l’autre ou l’air pestilent.

Rien d’étonnant  donc si les parfums actuels sont à l’image des problèmes ou des aspirations du monde contemporain. Opium, Kif   ou  Haschich  résonnent en écho à la montée du phénomène de la drogue, CK One, avec son flacon minimaliste, au désenchantement, aux difficultés d’insertion sociale de la jeunesse et à la brutalité des mœurs. La vogue des parfums sucrés et « cocooning » s’inscrit dans un contexte d’anxiété face aux aléas économiques, aux menaces terroristes et exprime le besoin de se créer une petite bulle rassurante d’où l’on puisse voir la vie en rose. Bois d’Encens, La Liturgie des Heures, Eau des Missions, Odeurs de Sainteté, font écho au  retour du religieux.  

Produit de luxe ou de grande consommation, le parfum est aussi un miroir de la société.

Au cours des siècles, l’évolution des techniques, des fonctions du parfum,  l’arrivée de la chimie dans la parfumerie, l’introduction du marketing, la mondialisation, ont profondément modifié la production et l’image du parfum sans néanmoins détruire l’imaginaire dont il est porteur.