Dominique Ropion

Dominique-RopionDominique Ropion

Très tôt, Dominique Ropion a été en contact avec les odeurs. Sa mère et son grand père travaillaient chez Roure. À quinze ans, il passait une partie de ses vacances à faire des pesées à la place des laborantines de la société et rencontrait les parfumeurs : Raymond Chaillan, Jacques Polge, Jean-Louis Sieuzac. Après des études de physique, il décide de suivre l’école de Roure à Grasse. Il rejoint ensuite le secteur de parfumerie fine à Argenteuil. De 1989 à 1998, il fera équipe avec Jean-Louis Sieuzac, le créateur d’ Opium (Yves Saint-Laurent 1977) et de Dune (C. Dior 1991). Avant d’entrer chez I.F.F., en 2001, il a été pendant trois ans chef parfumeur chez Dragoco.

On lui doit, entre autres,  Ysatis, un floral chypré et Amarige  de Givenchy (60 % de la formule est composé par deux matières premières). Il a également créé pour Kenzo deux puissants orientaux évoquant le caractère sauvage de la jungle, l’un au patchouli : Jungle Éléphant, l’autre boisé :  Jungle Tigre.  Aimez-moi  de Caron, Casual Friday  (Escada), Sexy Graffitii (Escada, en collaboration avec Laurent Bruyère), Very Irresistible (Givenchy, avec Sophie Labbé et Carlos Bénaïm), Amor Amor (Cacharel, avec Laurent Bruyère), Mania (Giorgio Armani), Anglo Mania de Vivien Westwood, Isatis Iris  (Givenchy),  Pur  Poison   (Dior, avec Carlos Bénaïm et Olivier Polge), Alien  (avec Laurent Bruyère) comptent parmi ses réalisations. Sa curiosité s’étend aux parfums disparus .

Il a aussi composé de nombreuses fragrances pour les Éditions Frédéric Malle comme Fleur de Cassie, Vétiver extraordinaire, Carnal Flower, Portrait of a Lady, Géranium…

Tailler et limer

Il définit modestement la parfumerie comme un art mineur par référence à d’autres domaines artistiques : peinture, écriture, architecture et même sculpture. « La parfumerie, c’est concret, manuel, laborieux. Un travail de tâcheron par moments. Tels les peintres, on met les mains dans le matériau et comme les architectes, on fait des constructions réelles, des fondations. De même que les sculpteurs, il nous faut tailler dans des odeurs, les limer, les casser. Une formule, ça se triture dans tous les sens. On voit émerger des accords. On a des surprises. Les poètes font la même chose avec les mots  ».

La maîtrise des accords

À l’opposé des jeunes parfumeurs actuels auxquels on demande d’être très rapidement « opérationnels »,  cet homme réservé venu de la filière Roure,  a pris le temps d’ étudier à fond la composition chimique des matières premières naturelles. Ses connaissances encyclopédiques en la matière  et sa parfaite technique des accords, lui permettent de donner libre cours à une inventivité toujours maîtrisée. À la façon d’un horloger qui démonte et remonte les rouages d’un mécanisme, ce perfectionniste, soucieux du détail, est capable d’isoler les composants d’un produit odorant pour les organiser  ensuite à sa manière.

Très tôt, il a cherché à appréhender la construction des “accords” élaborés par la nature car c’est la base de la création en parfumerie. L’accord est l’effet obtenu lorsqu’on mélange deux ou plusieurs notes et il arrive que l’odeur soit sans rapport avec les matières premières qui ont servi à le réaliser. Lorsqu’on associe deux éléments, une forme nouvelle, un accord, commence à se construire. Ainsi l’ accord acétate de benzyle (une odeur un peu fruitée) – indole  (une note très animale) –  jasmone (une note avec une connotation jasminée et un effet céleri),  sera travaillé dans tous les sens. Le parfumeur augmentera, tour à tour, les quantités de chacun de ces trois produits. « Pour créer un accord, il faut être extrêmement ouvert, être à l’écoute de tout ce qui peut intervenir et  être prêt à intégrer à n’importe quel moment tout apport extérieur auquel on n’aurait jamais pensé. La solution surgit à l’improviste ». Le Must  de Cartier, par exemple, est né à partir des accords de  Shalimar  et  d’ Alliage. « Quand je suis entré chez Roure, pour apprendre le métier, j’ai commencé d’abord à isoler les accords, à leur restituer une vie propre. Aujourd’hui, c’est ce que je m’efforce d’enseigner aux élèves parfumeurs ».

La parfumerie au microscope

« Les peintres classiques avaient le souci du détail. Pour dévoiler la structure, l’ « anatomie », d’une fleur, d’un fruit, d’un bourgeon, ils mettaient en avant un aspect plutôt qu’un autre, l’isolaient de son contexte, grossissaient le trait, le représentaient sous différents angles, allaient vers l’infiniment petit, révélaient des parties qui, autrement, seraient restées invisibles. Ma façon d’écrire une formule est identique », déclare Dominique Ropion.

Le compositeur évoque encore, pour mieux illustrer sa démarche,  le film Microcosmos, éloquent hommage à l’univers parfois microscopique des insectes. Un monde où les parties, même isolées de leur ensemble, ont leur propre équilibre et leur propre esthétique. « Le microscope électronique révèle des structures que personne n’aurait pu imaginer. On voit de très belles choses ». De même, lorsqu’on étudie les produits odorants naturels à la chromatographie, (une méthode utilisée pour détecter, identifier et doser les différents composants d’une matière première naturelle ou synthétique ou encore d’une composition de parfum ) et à la spectométrie, (une autre technique qui permet d’affiner et de compléter le système d’analyses chromatographiques), on s’aperçoit que certaines essences de fleurs sont constituées de plus de 400 particules odorantes différentes, dosées dans des proportions très précises.

Ces molécules vont ainsi pouvoir former un certain nombre d’accords primaires dans des registres olfactifs très différents. « Si on prend le simple exemple de la rose, on peut isoler des accords de fruits, (pomme, poire, amande), des accords hespéridés, citronnés, des accords verts de jacinthe ou fleuris jasminés, des accords de conifère (pin), des accords épicés (clou de girofle). Toutes ces minuscules structures que personne n’aurait pu imaginer, même isolées de leur ensemble ont leur propre équilibre et leur propre esthétique. C’est l’imbrication de tous ces accords qui au final constitue l’identité de la rose ».

Le parfumeur du début du XX e siècle, soucieux déjà d’imiter la nature, mais privé des outils nécessaires, était condamné à des approximations qui pour être pleines de charme n’en étaient pas moins quelque peu boiteuses. Les reconstitutions opérées avec les matériaux chimiques odorants disponibles à l’époque comportaient souvent des éléments qui n’existaient pas du tout, à l’état naturel,  dans la fleur ou le fruit concerné. Le parfumeur du XXI e siècle, doté d’instruments perfectionnés,  peut, en revanche,  approcher les mystères de la Création.

Pour mieux  les percer, (un désir qu’il a ressenti très jeune), Dominique Ropion travaille en relation étroite avec des chercheurs et des chimistes qui étudient la composition des fleurs. « Je demande aux chercheurs de faire une étude, la plus précise possible, de la rose, du jasmin, de la tubéreuse etc… de la regarder dans tous les détails et de sentir toutes les molécules, même les plus bizarres. Et après, si je veux faire un parfum à la rose, je pars d’une formule de cette fleur et décide de privilégier l’aspect épicé ou fruité ou hespéridé ou jasminé déjà présent qu’elle contient ». Comme Descartes, respectueux du « Grand Horloger » ordonnateur de l’univers,  et qui écrivait « la nature m’enseigne », il vise à tirer d’elle le maximum d’informations. Mi scientifique, mi artistique, son approche « naturaliste » de la parfumerie    participe de celle du botaniste et  du biologiste.

*LE PARFUM DES ORIGINES À NOS JOURS, Odile Jacob.