Daniela Andrier

Daniela-AndrierDaniela Andrier

Née à Heidelberg,  Daniela Andrier arrive en France à 15 ans où elle passe son bac. Elle suit des cours  de philosophie à la Sorbonne et, en écoutant une journaliste parler du métier de parfumeur, un métier dont elle ignorait l’existence, elle a la révélation de ce qu’elle veut véritablement faire. Devenir une professionnelle de ce moyen de communication fantastique que sont les odeurs s’impose à elle avec force.

Le parfum, très tôt,  était important pour elle. Il faisait partie du « côté très enchanté du monde ». D’autant plus enchanté que cette jeune fille qui avait perdu sa mère à l’âge de 13 ans et quitté l’Allemagne deux ans plus tard, avait bien compris que les odeurs lui permettaient de  replonger dans le domaine de son enfance et de conserver ce lien privilégié avec un être  cher.  Grandir, pour elle, s’était accompli par une succession  de douloureuses séparations, le pays, la langue, la mère, et les fragrances lui offraient cette merveilleuse possibilité de les retrouver.

Loin d’être un luxe inutile, le parfum, selon elle,  donne de la poésie, de la profondeur au passé, en soutenant olfactivement et émotionnellement notre mémoire. « C’est un fil conducteur. Je me souviens de tous les parfums de ma grand mère et de ma mère. Ma tante portait le 19 de Chanel, une senteur très raffinée qui évoquait pour moi les feuilles d’automne. Le parfum accompagne notre présent comme une petite musique et il faut qu’il soit puissant pour laisser après notre mort une trace ». Face à notre destinée de mortel qui n’est qu’un passage, il nous permet de  survivre.  « Le parfum n’est pas superflu. Il  participe à ce raffinement civilisé qui nous pousse à nous parfumer comme si même,  être voué à la mort, nous avions tout le temps de nous parer de belles odeurs pour enchanter autrui et laisser derrière nous un souvenir odorant ».

La maison Guerlain renforce encore son amour du parfum. Les opulents SHALIMAR, HEURE BLEUE, HABIT ROUGE qui n’étaient pas portés en Allemagne, ce n’était pas le style, et qu’elle sent sur  des amis  parisiens,  la ravissent et lui donne l’impression d’être dans une caverne d’Ali Baba, remplie de trésors olfactifs.

« L’ HEURE BLEUE que j’ai porté le jour de mon mariage, c’est une partie du monde qui n’existait pas. Et ça parle de sa poésie. L’accord était complètement nouveau. C’est tout le contraire de ce qui consiste à dire : j’ai senti une rose et je vais essayer de la copier. Rien ne peut concurrencer la nature ».

Jacques Polge la fait entrer dans l’école de parfumerie de Roure. Chose curieuse, cette rencontre met inconsciemment cette jeune fille déracinée et orpheline de sa mère en contact avec elle puisque le parfumeur de  Chanel est aussi le créateur de RIVE GAUCHE, un parfum qu’elle portait.

Après un stage chez Chanel, un autre chez Robertet et une année d’études à Grasse, elle travaille, à Argenteuil, chez Roure  où elle devient l’assistante d’Édouard Fléchier. Le créateur de POISON lui apprend à simplifier. En 1991, Roure fusionne avec  Givaudan où elle réalisera  entre autres fragrances : CONTRADICTION de Calvin Klein, VERY VALENTINO, ATTRACTION de Lancôme,  les parfums boutique de Prada (IRIS, FLEUR D’ORANGER, CUIR AMBRE, ŒILLET, TUBÉREUSE, VIOLETTE, MYRRHE, BENJOIN, NARCISSE, OPOPONAX, BENJOIN, des produits très luxueux, vendus sans aucune publicité), PIERRE DE LUNE d’Armani Privé, ANGÉLIQUE NOIRE de Guerlain et, bien sûr, INFUSION D’IRIS de Prada.

Chose curieuse encore, Daniela a eu à faire chez Givaudan la mise aux normes de RIVE GAUCHE lorsque 3 % de  mousse de chêne ont du être remplacés dans la formule. « Une démarche très sacrée pour moi mais très intimidante et angoissante et qui n’est peut-être pas arrivée par hasard. Finalement, ça ne pouvait pas tomber sur quelqu’un de plus bienveillant que moi ! J’avais à travers ce parfum un attachement et il fallait que l’essentiel soit sauvé ». Un travail très difficile, en effet, puisqu’elle voulait le modifier tout en préservant l’accès magique à sa mère. Et c’est en jonglant avec des impressions olfactives plutôt qu’en utilisant un substitut qui l’aurait appauvri qu’elle y est parvenu. «J’ai cherché à donner l’illusion de la présence de la mousse de chêne plutôt que de chercher à la copier. La copie ne m’intéresse pas ».

Dans un monde où tout est image, le parfum reste du domaine de l’invisible, tout en étant très présent. L’engagement, la responsabilité et la prise de risque sont essentiels à son élaboration. « Pour qu’un parfum nous touche, il faut que le créateur s’implique, s’engage, qu’il ne regrette pas ce qu’il a fait».  Son travail aujourd’hui a beaucoup changé. Il n’en est plus comme avant le seul responsable. Trop souvent considéré comme un simple exécutant, le parfumeur  a perdu la faculté qu’il avait autrefois : celle de juger et de dire non. «  On écoutera le créateur  qui dira là je m’arrête car dans ce milieu où l’important est de gagner une affaire, s’en retirer surprend ».

Pour Daniela Andrier, le parfumeur a un devoir moral : défendre ce que doit être le parfum, face au marketing, aux évaluatrices et autres intervenants qui étirent la formule dans tous les sens. Un parfum est luxueux quand il a été élaboré en dehors des impératifs de rentabilité et lorsque celui qui le développe se projette dedans, y met tout son cœur. Il ne suffit pas de mettre de belles matières.  Si de trop nombreux parfums ont perdu leur âme, c’est parce qu’ils ont été faits sans passion et sans joie. Lorsqu’il y a une heureuse rencontre entre le parfumeur et le styliste, un vrai dialogue, le parfum est invité par tous les protagonistes et il devient un acte d’amour et d’admiration. « Et les gens le sentent. Au-delà du plaisir d’accéder au luxe, en achetant un parfum, c’est précisément l’émotion qu’ils achètent ».

Pour illustrer ses idées, Daniela Andrier évoque avec admiration Madame Prada, une femme très libre, courageuse, qui cherche,  trouve, prend des risques, ne compte pas, fait rêver et  incarne le luxe. « S’il y a une marque pour moi qui représente le luxe, c’est la sienne ».

Le rapport que cette créatrice entretient avec la mode la fascine. Regarder son travail a fondamentalement inspiré et changé sa parfumerie. « Mes parfums  répondent   en écho à sa vision très cohérente et sans cesse réinventée. Lorsque ses collections font des références au passé, elle les transforment avec allégresse dans l’avant-garde. Elle prend toujours le contre-pied et  associe,  par exemple,  le nylon au crocodile. Ses manteaux de fausse fourrure sont verts.  Cet hiver, elle a utilisé la laine qu’elle a recouverte de colle. Ca donnait un aspect très brillant, ça faisait penser aux tweeds de Chanel et en même temps, c’était très futuriste. Mais jamais un futurisme gratuit et bête ».

Il faut être inspiré par l’univers de la marque, bien le comprendre,  pour y répondre aisément. Nos échanges sont très brefs. Et c’est bien, sinon, ce serait lourd et nous ne serions plus dans l’impalpable, l’invisible. Je connais toutes ses collections et il n’est pas nécessaire de m’expliquer comment elle voit les choses. IRIS ET INFUSION D’IRIS  m’ont été inspirés par son monde auquel je donne une odeur. J’en suis le medium. Les parfums que j’ai composés pour Madame Prada n’existeraient pas sans elle. J’ai été touchée par la grace de ce que je vois chez elle. Et sans moi, ses parfums n’auraient pas non plus d’existence parce qu’il a fallu que je sois émue par sa poésie. Quand je sens vos odeurs, m’a-t-elle dit un jour, je vois bien la grande correspondance entre nos deux mondes. C’était le plus beau des compliments. Quand on est en symbiose avec quelqu’un, le travail est très léger et très gai ».

Contrairement au travail du peintre, confie Daniela Andrier, celui du parfumeur, quand il compose dans de bonnes conditions,  est très ludique. Le parfumeur est l’interprète de l’air du temps et d’un univers rêvé par quelqu’un.

Mais comme les philosophes allemands Kant et Hegel, elle pense que la parfumerie, n’est pas un art même si elle y participe, sous bien des aspects. « La musique, la peinture transcendent l’humanité d’une façon beaucoup plus radicale que la parfumerie ne peut le faire ».  Mais celle-ci  a en revanche ce pouvoir mystérieux  de  nous relier à notre passé, de nous renseigner sur notre temps et de mettre dans notre vie de la joie et de la poésie.

Mes préférés : Tous les parfums boutique Prada, en particulier, IRIS, et INFUSION D’IRIS, ANGÉLIQUE NOIRE.